Les ogres et le tailleur
Le Haut-Koenigsbourg, château iconique d’Alsace digne des contes de fée, est à proximité de Sélestat. Du haut des Vosges, il offre une vue à couper le souffle sur la plaine d’Alsace.
On raconte que les murs du château étaient autrefois habités par trois ogres, un peu rustres et pas très malins. Ils s’occupaient comme ils le pouvait et passaient la majeure partie de leur temps à chasser puis cuisiner leurs repas. La forêt riche en cerfs, sangliers, chevreuils et autres lièvres leur offrait de quoi assouvir leur faim perpétuelle. Mais ils ne disaient pas non à un peu de chair humaine pour égayer leurs repas de temps à autre.
Un jour qu’ils chassaient, l’un des ogres tomba sur un jeune homme. Il le prit par le col et l’emmena avec lui, sous les protestations effrayées du captif. Celui-ci l’implora par tous les moyens de le relâcher : il avança sa pauvre mère esseulée, sa fiancée qui mourrait de tristesse. Las ! Rien ne toucha le géant, bien décidé à festoyer ce soir-là.
Alors une idée lui vint : « Monseigneur Ogre, que votre veste est usée ! Un homme de votre stature ne peut se pavaner dans de tels haillons. Voyez-vous, je suis tailleur de condition et pas bien épais pour un dîner digne de ce nom. Je vous conseillerais plutôt d’user de mes humbles services : je vous vêtirai comme un roi ! »
Le géant interloqué s’arrêta un instant pour réfléchir, sa vanité flattée.
« Ma foi c’est vrai, tu n’es pas bien gros… » répondit-il en soulevant le tailleur pour mieux l’observer. « Soit. Tu vas donc me confectionner les plus beaux vêtements qu’on ait jamais vus dans ce comté. Et tu feras de même pour mes deux camarades. Ou bien tu finiras dans la casserole. »
Arrivant au château, ses deux compères, les bras pleins de sangliers et de lapins s’insurgèrent face à sa maigre prise. Malgré ses arguments, ils refusèrent de partager leur butin avec lui. Embarrassé, le géant emmena son prisonnier dans la cuisine pour réfléchir de nouveau.
« Je vais devoir te manger, tailleur, car je n’aurai pas d’autre repas ce soir. Tu m’en vois navré : j’adore les beaux costumes ! »
Le jeune homme, paniqué, vit soudain une grande fenêtre donnant sur la plaine. La vue magnifique l’apaisant pendant quelques secondes, il fut pris d’une ultime idée pour sauver sa peau.
« Oh, maître géant, j’accepte mon sort. Je suis seulement triste de n’avoir pu vous confectionner les plus belles chemises en soie et la plus élégante des vestes brodées. Laissez-moi, s’il-vous-plaît, admirer la vue sur la plaine une dernière fois »
L’ogre haussa les épaules, et se dirigea vers la fenêtre en posant le tailleur sur le rebord.
« Quel paysage ! Quelle chance vous avez, Monseigneur, d’avoir un si beau château avec une si belle vue ! Tiens… mais que vois-je ? Oh comme c’est curieux ! Qu’est-ce donc là-bas ? » dit-il en s’approchant du bord, en feignant la surprise.
L’ogre, qui admirait pour la première fois la vue depuis son château, se pencha pour tenter d’apercevoir ce qui retenait ainsi l’attention de son captif. Le tailleur sortit alors sa dague et lui trancha la gorge ! L’ogre tomba tête la première dans le vide. Le deuxième ogre alerté par le bruit s’approcha du jeune homme et subit le même sort.
Le troisième et dernier ogre, inquiet de ne pas voir revenir ses deux comparses, se présenta à son tour devant le tailleur ensanglanté, visage dément et lame étincelante. Affolé, le monstre un peu simplet déguerpit en hurlant, sans demander son reste.
Et c’est ainsi, dit-on, que le rusé tailleur débarrassa pour toujours le château des trois ogres.